Attention : le club a déménagé au 55 avenue Kellermann à Saint-Gratien !

N3 R6 – Les techniques imparables pour gagner – Un compte rendu collaboratif :

(scénario, dialogues et réalisation : Antoine K.)

Après notre nouvelle victoire toute en… maîtrise de cette 6e ronde de N3 [NDLR : 4-3 après 5 h 30 de jeu], nombreux êtes-vous, chers lecteurs assidus de ce site, à nous écrire pour nous demander quels sont nos secrets.
M’étant auto-désigné volontaire pour rédiger le compte rendu [NDLR : non, ce n’est pas un pléonasme – les joueurs de l’EDL connaissent bien ce moment tant redouté où le Chef vient vous poser la main sur l’épaule pour vous dire « Je sais ce que tu ressens. Tu meurs d’envie de faire le prochain CR. Merci pour ton enthousiasme. J’ai confiance en toi et j’attends ta prose avec impatience »], m’étant porté volontaire de mon plein gré, donc, je vais tenter de combler les attentes de notre lectorat sur ce sujet hautement épineux et confidentiel. Pour ce faire, en m’appuyant sur mes vingt années de compétition que je viens de fêter, je vais en toute simplicité vous livrer le résultat d’une enquête personnelle auprès des plus grands champions de notre temps (et de notre département).
Sans plus tarder, voici, rien que pour vous, un catalogue de techniques imparables pour vous assurer de remporter vos futures parties.

Une préparation de haut niveau

La technique

Elle repose sur le triptyque suivant : résoudre tous les matins une étude au petit déjeuner – trois séries de cent dix exercices tactiques pendant la pause déjeuner – analyse des dernières nouveautés théoriques avec ordinateur (avant le dîner) et sans ordinateur (entre la vaisselle du dîner et le coucher).
Il est très important que votre première pensée du matin soit orientée échecs, ainsi que la toute dernière pensée avant de vous coucher.

Pourquoi ça marche

Votre vie n’est plus qu’une grande partie d’échecs ininterrompue. Il n’y a finalement plus de différence entre jouer et ne pas jouer, car vous vous mouvez au sein d’un continuum d’échecs. Et quand débute votre match de N3 du dimanche, pas d’adrénaline, pas d’excitation, il ne s’agit ni plus ni moins que d’être ce que vous êtes devenu : vous ne jouez pas aux échecs, vous êtes les échecs.

Pourquoi ça ne marche pas toujours

Si vous appliquez cette technique, vous n’êtes probablement pas en train de lire ce site mais de vous préparer pour la partie de demain à Wijk aan Zee contre Giri ou Firouzja.

Une hygiène de vie irréprochable

La technique

Un esprit sain dans un corps sain. Vous avez compris que les choix judicieux dans vos parties naissent au sein d’un organisme apaisé à la circulation fluide, débarrassé de ses toxines.
Vous ne buvez plus d’alcool et avez banni le sucre et le gras. Vous ne dites plus « Je mange » mais « Je m’organise un apport nutritionnel calculé ». Vous pilotez finement votre ratio temps d’éveil/temps de repos. Bien entendu, l’activité physique est le socle de votre journée : vous alternez entre le demi-fond du matin, le body pump du midi et le yoga du soir.

Pourquoi ça marche

Lorsque vous vous asseyez en face de votre adversaire (qui a 99,99 % de chance d’avoir un Nutriscore moyen 7 ou 8 lettres en dessous du vôtre car, après tout, on parle d’un joueur d’échecs), votre corps rayonne, tout simplement. Éblouie, la personne qui est en face de vous perd tous ses moyens et ne peut opposer une résistance sérieuse.

Pourquoi ça ne marche pas toujours

Deux semaines après avoir entrepris ce programme, lors de la pause méditation placée entre le cours de renforcement abdo-dorsal et la séance de tai-chi dynamique, votre conscience atteint soudain un état de plein éveil. Le monde vous apparaît nu, dans son absurdité la plus totale. Vous ne voyez plus un échiquier, mais trente-deux morceaux d’arbre usinés et peints. Vous ne voyez plus un adversaire, mais une autre âme en peine en recherche de la plénitude. Vous arrêtez les échecs et partez vous installer dans un monastère bouddhiste au Bhoutan.

Choisir judicieusement ses adversaires

La technique

Mise en situation : vous avez le choix entre deux adversaires, A et B, qui ont aujourd’hui à peu près le même classement que vous. A est un adolescent en pleine progression (+ 300 points par an en moyenne) : vous êtes par hasard sur sa fulgurante trajectoire Elo ascendante. B joue depuis vingt ans, a atteint son palier depuis quinze ans, et a trois enfants en bas âge, dont le dernier ne fait toujours pas ses nuits. Qui préférez-vous jouer ? Voilà, c’est ça, la technique.

Pourquoi ça marche

Au moment où la feuille de match est dévoilée par les capitaines, vous jubilez intérieurement à la lecture du nom de votre adversaire – celui que vous vouliez jouer. Lorsqu’il rentre dans la salle, son teint pâle et les cernes entourant ses yeux sont comme un aveu de l’inéluctable vérité : vous avez déjà gagné. Avant de débuter la partie, vous regardez une fois encore le visage de votre adversaire : c’est comme si une cible était apparue sur son front.

Pourquoi ça ne marche pas toujours

Le matin du match, vous vous réveillez fatigué. Pourquoi, déjà ? Ah oui, le petit dernier a encore fait des siennes cette nuit. Inutile de penser à faire une petite grasse matinée pour rattraper : votre aînée est déjà en train de sauter sur votre lit. Quelques heures plus tard, votre bâillement a la même envergure que l’ouverture des portes du métro qui vous conduit à votre match. Vous auriez bien fermé les yeux pendant le trajet, mais c’était sans compter sur cette homme qui chante du Joe Dassin d’une voix rocailleuse en s’accompagnant à la scie musicale. Un brouillard de fatigue trouble votre vue lorsque vous prenez place devant votre échiquier. Mais pourquoi votre adversaire a-t-il l’air si heureux en vous voyant ? Et d’où vient cette sensation bizarre d’avoir une cible sur le front ?

Ne jouez pas contre votre adversaire, jouez plutôt avec lui

La technique

Les grands maîtres de la fameuse école soviétique vous le diront : lorsque vous avez l’avantage (ou même lorsque vous n’en avez pas), ne vous précipitez pas, tournez autour du pot, torturez votre adversaire. Répétez un peu les coups, faites un pas à gauche, puis à droite, et voyez ce qu’il se passe.

Pourquoi ça marche

Il y a en fait trois grandes variantes qui assurent l’efficacité de cette technique :
• L’agacement : Au début, votre adversaire s’amuse gentiment de vous voir vous pencher sur votre feuille de partie tous les deux coups pour vérifier combien de fois vous avez répété ou pour compter sur vos doigts le nombre de coups qui vous séparent encore de la règle des 50 coups. Après une heure comme ça, il finit par imploser et vous lâche gratuitement une pièce ;
• La lobotomie : Tout le contraire de la variante précédente. Vous initiez avec grâce une série de manœuvres toutes plus absconses les unes que les autres. Fasciné, hypnotisé, le cerveau retourné, votre adversaire tente de vous imiter et, dans ce pas de deux, finit même par oublier que c’est une partie d’échecs et non un film de claquettes avec Gene Kelly. Lorsque la moitié de son cerveau est ainsi anesthésiée, vous êtes prêts à pratiquer l’extraction d’une pièce superflue de sa collection. Et il vous dit même merci ! Le grand spécialiste de cette technique se reconnaîtra dans ces lignes ;
• La serendipité : Variante également appelée « Je cherche une place pour me garer ». L’idée sous-jacente est simple. En faisant errer sans but et aléatoirement vos pièces tout autour de l’échiquier, il est statistiquement possible, au bout d’un temps suffisamment long, que vous tombiez accidentellement sur une idée gagnante.

Pourquoi ça ne marche pas toujours

« Bon, je peux faire plein d’échecs avec ma dame sur les colonnes g et h. Avant de tenter d’amener ma tour, je vais le torturer un peu.
Dh5+ Rg8
Je vais appliquer la technique sérieusement et rester concentré.
Dg6+ Rh8
C’est bien, je joue comme un professionnel aujourd’hui.
Dh5+ Rg8
Surtout faire attention à la répétition.
Dg5+ Rh8
Tiens, le Chef a mis une jolie chemise aujourd’hui, ça lui va très bien.
Dh4+ Rg8
Le Chef sera content de moi, d’ailleurs.
Dg4+ Rh8
Qu’est-ce que je torture bien !
Dh4+ Rg8
Après, il faut torturer juste ce qu’il faut pour ne pas rentrer trop tard, ce soir.
Dg3+ Rh8
Au fait, il faut que j’achète du pain en rentrant…
Dh2+ Rg8
Mais est-ce que je vais trouver une boulangerie ouverte un dimanche soir ?
Dg2+ Rh8
Il y a bien la boulangerie du métro, mais elle ne prend pas la carte.
Dh1+ Rg8
Quand même, en 2024, ne pas prendre la carte…
Dg1+ Fxg1
Hééééé !! Non, attendez, ce n’est pas possible ! C’est moi qui étais en train de torturer ! »

Trouver le rituel gagnant

La technique

Certes, vous n’êtes pas superstitieux, car ça porte malheur. Mais quand même, allez savoir pourquoi, vous avez l’impression que vous jouez mieux quand vous portez vos chaussettes Snoopy. En fait, ce n’est pas juste une impression. Aussi loin que vous vous en souvenez, vous n’avez jamais perdu avec ces chaussettes. Et même, la dernière fois que vous ne les avez pas mises, vous avez perdu en quinze coups. Soyons scientifiques : jusqu’à preuve du contraire, vous avez trouvé les chaussettes qui gagnent (ou en tout cas qui ne perdent pas) et vous vous devez de poursuivre l’expérience. Pour la science.

Pourquoi ça marche

Grâce au rituel que vous avez trouvé, vous avez boosté votre capital confiance. Les pensées négatives vous ont quitté. Purifié, votre esprit est prêt pour le bataille.
À noter toutefois que la recherche est un métier difficile où la patience est de mise. Il vous faudra peut-être plusieurs années avant de trouver le rituel gagnant : stylo magique, chaussettes gagnantes, bisou sur le crâne du Président… ou même une combinaison de tout cela, à accomplir dans un ordre précis !

Pourquoi ça ne marche pas toujours

J’ai rencontré un jour un grand-maître ex-soviétique qui m’a raconté, les larmes aux yeux, qu’il avait trouvé le rituel imparable qui fonctionne pour remporter n’importe quelle partie contre n’importe quel adversaire : il lui suffisait de lire Guerre et Paix en entier en version originale avant la partie en question. Mais attention, il fallait bien faire attention de ne sauter aucune ligne, et… le stratagème ne marchait que pour une seule partie, devant être réitéré (à partir de zéro) pour devenir efficace à nouveau.
Curieusement, il a préféré perdre des parties et ne jamais devenir champion du Monde. Allez comprendre.

Le bisou de ma fille

La technique

« Papa, tu vas où ?
— Je vais jouer aux échecs cet après-midi.
— Alors je te fais un bisou pour que tu gagnes ! »

Pourquoi ça marche

Comment voulez-vous ne pas lui faire plaisir ??

Pourquoi ça ne marche pas toujours

La saison des compétitions par équipe (octobre-mars) coïncide avec la saison des virus. Le gentil bisou en question peut contenir un de ces germes mutants fabriqués dans les cours de récréation, qui risquent de vous mettre KO… jusqu’à la prochaine ronde de Nationale !

Et vous ?

Vous allez me dire : le titre annonçait un compte rendu collaboratif mais pour l’instant c’est un monologue !?
En effet, après cette longue introduction, je vous propose, chers lecteurs, de dire quelles sont vos techniques fétiches !
De mon côté, clairement les deux dernières, et un peu de sérendipité dans les bons jours…
À vous !

6 commentaires.

  1. En 50 ans de compétition j’ai testé toutes ces approches avec des hauts (l’étude de la partie Nogueiras – Tarjan Bogota 1979 le vendredi soir, pour jouer le même sacrifice 13. Txf7 le samedi) mais surtout des bas (dernier exemple en date le CR de ChatGPT).
    Le « stylo qui gagne » s’épuise rapidement ; il faut bien, de temps en temps, laver le polo magique au risque de s’indisposer soi-même ; l’équipe adverse ne fournit pas souvent sa compo au préalable pour choisir son adversaire.
    J’ai même tenté le dopage : nicotine pour focaliser l’attention mais les sorties trop fréquentes aggravent un zeitnot déjà récurrent et les psycho-relaxants ont un effet très négatif sur la combativité.

    La seule technique avec un taux de succès supérieur à l’effet placebo c’est, comme je le répète souvent, une bonne nuit de sommeil.

  2. Ce CR est fantastique et mériterait d’être encadré au club. “C’est tellement vrai”, comme dirait Fabrice dans la classe.
    Je remarque aussi son caractère visionnaire puisque ta variante “torturante” se termine par un Dg1+ – “prise en g1″ qui me rappelle la partie du chef hier, qui doit payer sa tournée vu le résultat du match (mais c’est une autre histoire).
    Plus sérieusement, pour pratiquer l’auto-diagnostic ces dernières années (ça n’est pas sale), je pense qu’il s’agit de trouver le juste niveau d’implication (trop et on s’arrache les cheveux au risque de refuser la nulle dans une position pourtant égale, donnant une pièce évidemment 3 coups plus tard ; pas assez et on ne se concentre pas assez, donnant une pièce au bout de 10 coups en croyant jouer une position connue, toute ressemblance avec une partie récente n’étant pas fortuite). Et de bien dormir, c’est évidemment le facteur clé.

  3. 41… Tg1+ 42. Dxg1 « Hééééé !! Non, attendez, ce n’est pas possible… on devait continuer par 42. Rh2 T8g2 mat ».

  4. C’est le problème avec nos adversaires, ils ne sont pas assez conciliants. Un manque de savoir vivre, sûrement

  5. Merci Antoine pour de ce compte rendu collaboratif. J’en profite donc pour vous livrer un raisonnement infaillible que j’ai élaboré pour battre un joueur beaucoup plus fort que sois .
    Je sens l’attention monter –
    Comment? c’est seulement maintenant que tu nous en parles ?
    Un peu de patience, voila : Imaginons que je rencontre un Grand Maitre et que je fasse 100 parties contre lui. Statistiquement, je devrais en gagner au moins une. Et bien c’est celle la que nous allons jouer maintenant – pour les 99 autres, on verra plus tard.

  6. Ah oui, tiens, voilà une technique imparable supplémentaire, et en plus elle est mathématiquement fondée !

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