Nous avons perdu notre match contre nos voisins et amis de Cergy-Pontoise lors de la dernière rencontre à domicile* de la saison. Et, en tant que capitaine, je porte l’entière responsabilité de cette défaite.
D’ailleurs, à la réflexion, si j’étais encore le président de l’échiquier du lac, dès la fin du match je me serais immédiatement limogé pour incompétence.
Je vous laisse juge :

Première erreur, dans mon message envoyé aux joueurs afin de connaître les membres de l’échiquier du lac disposés à participer aux matches de ce dernier week-end, on ne trouvera pas la moindre trace de tentative de motivation ; bien au contraire : des phrases creuses, des jeux de mots vaseux et la glorification de la méthode Shadok par pure flagornerie à l’égard du président.
Pire encore, lors de l’envoi de l’information de la composition d’équipe retenue, les joueurs trouvèrent un « amusez-vous bien » de nature à les démotiver totalement.

De plus, j’envoie aux joueurs sélectionnés la composition de l’équipe adverse aux rondes précédentes. Ils peuvent ainsi se préparer contre leur éventuel futur adversaire.
Là aussi, pas la moindre mise en garde d’accompagnement telle que (liste non exhaustive) « nos adversaires risquent la descente en division inférieure, prenez garde ils vont être particulièrement motivés » ou encore « ne tenez pas compte de leur classement Elo car la plupart des joueurs adverses sont des jeunes en pleine progression » ou bien « attention le club adverse possède de nombreux joueurs qui peuvent renforcer l’équipe ».

Tout capitaine compétent n’aurait pas manqué d’alerter les joueurs de son équipe par au moins deux de ces trois arguments. Il n’en fut rien et ledit capitaine pâlit à la lecture de la feuille de match : deux forts joueurs étaient effectivement venus renforcer l’équipe adverse.

Avant même le coup d’envoi, les erreurs s’accumulaient.
Et elles continuèrent :
Devisant dans l’attente des derniers joueurs, Antoine m’informa que ses enfants étaient à Lille et qu’il n’avait pas reçu leurs encouragements avant de venir. Il fallait donc immédiatement proposer de passer un appel en visiophonie afin qu’au moins virtuellement Antoine puisse recevoir le « bisou qui gagne » de sa fille.

Autre erreur d’avant match : Je connais Jean-Marie depuis bientôt cinquante ans. Je sais donc quel galant homme il est. Et Marion est très généralement un prénom féminin. Il me fallait donc le mettre en garde : cette qualité dans la vie peut être parfois handicapante sur l’échiquier.
Ne vous méprenez pas : je ne mets pas une seule seconde en doute le mérite de son adversaire qui joua avec allant et énergie pour administrer un joli mat au vétéran de notre équipe. Mais il était de mon rôle de capitaine d’alerter Jean-Marie.
Cergy 1 – Enghien 0

Je ne saurais dire si c’est l’absence de phrase motivante dans mes messages ou, au contraire, le très mal venu « amusez-vous bien » qui causa la perte de Nathan. Toujours est-il qu’après les grandes complications qu’il avait initiées et que son adversaire avait parfaitement maîtrisées, il refusa une simplification salvatrice et dû s’incliner.
Là encore, que ce soit pour l’une ou l’autre des raisons invoquées ci-dessus, ma responsabilité est entière.
Cergy 2 – Enghien 0

Un capitaine se doit aussi d’être exemplaire pendant la partie. Les positions obtenues peuvent influencer les décisions des autres joueurs lorsque le résultat de l’équipe est dans la balance. Une probable victoire peut permettre aux équipiers de choisir une variante plus calme alors qu’une défaite imminente peut inciter les autres joueurs à prendre des risques inconsidérés pour tenter de rétablir l’équilibre au score.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que je ne fus pas exemplaire : après un début quelconque, je fus soumis à une pression importante puis vers le trentième coup le centipionnomètre s’est affolé, niveau 9 sur l’échelle de Richter. Comment voulez-vous dans ces conditions que mes équipiers puissent envisager l’issue de la partie ? Autant lancer une pièce en l’air.
Finalement l’aphorisme de Tartacover « aux échecs, gagne celui qui fait l’avant-dernière faute » fut une nouvelle fois vérifié.
Cergy 2 – Enghien 1

Si vous suivez notre site depuis quelques temps, vous savez que notre président est un adepte des ouvertures peu conventionnelles (le début du tourteau ou de l’endive sont à son répertoire par exemple). Aussi, lorsqu’après une quinzaine de coups, nous observions la position obtenue à son échiquier, aucun membre de l’équipe ne pût s’empêcher de s’exclamer : « la position d’Alain est encore théorique ! ».
Outre le dérangement causé par l’attroupement autour de sa table, notre président fut manifestement vexé que ses efforts d’invention aient été largement anticipés par de nombreux maîtres.
Dès lors, le fait d’arracher finalement la nulle est méritoire.
Il était de mon rôle de capitaine de protéger l’un de mes joueurs d’une telle pression psychologique.
Cergy 2 – Enghien 1

Ci-dessus je vous narrais mes errements. Les Olivier en furent tous deux victimes : calculateurs, ils aiment peser longuement chacune de leurs décisions ; objectifs, ils prennent en compte l’ensemble des paramètres disponibles avant d’agir et l’un comme l’autre sont essentiellement cartésiens.
Aussi, devant l’irrationalité de l’évolution de ma position, l’un et l’autre ne purent-ils choisirent à bon escient la stratégie optimale que bien trop tard, lorsque leurs positions respectives ne présentaient déjà plus de chance de gain réaliste.
Cergy 2 – Enghien 1
Cergy 2 – Enghien 1

Alain « le prof », comme Nathan, a probablement été victime de mon « amusez-vous bien » d’avant match. Aussi n’a-t-il pas jugé utile de réviser quelques finales élémentaires du premier tome du Villeneuve.
Malgré un adversaire bien plus fort que prévu, il a, par de subtiles stratégies, obtenu une position très favorable. Alors que la victoire était à portée de main, son adversaire a tenté une manœuvre de la dernière chance.
Le manque de motivation induit par mes phrases inconsidérées lui a fait manquer un coup complètement évident qui lui aurait assuré la victoire.
Cergy 2 – Enghien 1

Antoine, lui aussi confronté à un redoutable adversaire, s’est finalement incliné après avoir défendu longuement une position difficile avec précision et brio. Il ne lui aura manqué qu’un tout petit surplus de motivation pour arracher une partie nulle qui lui semblait promise – et méritée.
Cette mini-dose d’adrénaline essentielle aurait pu être cet appel téléphonique que j’ai omis de proposer.
Cergy 3 – Enghien 1

Au final, une défaite qui nous prive de l’infime espoir d’un dernier match décisif contre les leaders.

Félicitons néanmoins nos adversaires qui ont su profiter pleinement de mes trop nombreuses erreurs.
Même si son objectivité n’est pas parfaite, vous trouverez leur compte-rendu ici : sur leur site.

Et comme je l’écrivais ci-dessus, je vous laisse juge :
À la lecture de ce qui précède, pensez-vous, comme moi, qu’il faille faire pression sur notre président afin que l’année prochaine notre équipe première soit capitainée avec compétence et efficacité et donc à la hauteur de nos légitimes ambitions ?

*en fait dernière rencontre tout court, mais n’anticipons pas