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Cht du Val-d’Oise du vendredi, ronde 3 : les centipions

Aux échecs, depuis les années 1960, pour juger d’une position l’informateur a proposé sept symboles : +- pour avantage décisif des blancs (réciproquement -+ pour les noirs) ± et ∓ pour net avantage, ⩲ ⩱ pour léger avantage et = pour égalité (voire huit si on y ajoute ∞ pour les commentateurs paresseux) qui jusqu’à récemment étaient universellement adoptés et suffisaient largement à nos besoins.
Et puis les informaticiens s’en sont mêlé…

Depuis l’adolescence je sais qu’un cavalier vaut environ trois pions de même qu’un fou (parfois trois pions et des poussières), une tour environ cinq pions et une dame vaut neuf ou dix pions selon les auteurs.
Le pion est utilisé comme unité de mesure pour donner une idée de la force relative des pièces aux débutants mais ces valeurs ne sont plus utilisées dès que l’auteur s’adresse à des joueurs confirmés.
Et puis les informaticiens s’en sont mêlé…

Il leur fallait une mesure pour que leur algorithme choisisse entre deux variantes. L’unité était toute trouvée : le pion était déjà utilisé et pratique.
Mais comment choisir lorsque les deux variantes sont de valeur quasiment identique ?
La méthode de la trotteuse étant trop expérimentale, les informaticiens ont inventé le décipion (dixième de pion) puis, ne reculant pas devant le plus total ridicule, ils osèrent le centipion, ne nous épargnant les millipions que par souci d’économie de registre mémoire.
Ils auraient pu cacher leur méfait au plus profond de leur programme et nul n’aurait été au courant.
Mais les publicitaires s’en sont mêlé…

Depuis, à mon grand dam, au lieu de se contenter des symboles de l’informateur qui avaient fait leur preuve depuis de nombreuses années, j’entends souvent des phrases telles que « j’étais à 2.26 ! j’aurais dû gagner » ou « je préfère gxf6 : Fritz me donne 0.35 alors que éxf6 est à 0.45 » ou encore « Et là il gaffe : il passe de 3.38 à 1.27 ».

Mais pour nous autres, pousseurs de bois du dimanche (et du vendredi soir) ces centièmes de point n’ont aucune signification. Chacun de nos coups peut faire varier l’évaluation de la position de plusieurs dizaines de ces « centipions » et souvent davantage encore.

J’en veux pour preuve notre match du vendredi 19 janvier chez nos amis de Franconville.

Par exemple dans cette position :

J’étais bien conscient de mon avantage positionnel (même si je le sous-estimais). J’élaborais donc le subtil plan suivant : doublement des tours sur la colonne a, poussée du pion b pour chasser le cavalier c6 et gain du pion a noir (subtil n’est-ce pas ?). Comme mon adversaire pouvait réagir par …a6 et une future contre-attaque sur la colonne b, tel Petrossian ou Karpov au meilleur de leur forme, j’ai défendu prophylactiquement le pion b2 en jouant 15. Ta2.
Conscient des graves menaces qui planaient sur sa position mon adversaire s’est plongé dans une intense réflexion de plus de treize minutes. Sa réponse fut à la hauteur des immenses défis que je lui avais posés : par 15…Fxb4 il supprima la principale menace.

Mon « brillant » coup 15.Ta2 avait selon l’évaluation de Shredder installé sur mon téléphone portable fait passer la « valeur » de ma position de +1.11 à +0.17

Sur mon ordinateur l’évaluation de Deep Fritz 13 passe de 1.01 à 0.17

Même avis pour Stockfish16 sur Lichess l’évaluation de la position est passé +0.7 -> -0.3 (Notez que Lichess n’affiche que des décipions – merci à eux)

Et je vous passe sur le fait que ses évaluations ne considèrent que la variante 16.çxb4 Cxb4 17.Cç1 coup qui m’avait lui aussi échappé. Après mon 16. Tfa1 l’évaluation devient négative pour les trois programmes.

Quelques coups plus tard mon adversaire ne fut pas en reste en transformant rapidement une position supérieure en finale difficile.

Et je ne suis pas le seul à faire varier le centipionnomètre dans de telles proportions :

Au premier échiquier Olivier B, probablement exténué par une semaine de dur labeur, joua – comme dans la variante qu’il avait remarquée quelques jours plus tôt – le coup 4…Cç6 dans cette position…

… avant de s’apercevoir que le cavalier blanc se trouvait en ç3 et non en f3. Sa grimace fut visible de toute la salle lorsque son adversaire joua 5.Cb5.

Des variations extrêmes sont encore plus évidentes dans les positions complexes. Ainsi Théo au quatrième échiquier donna l’occasion à son adversaire de se sauver :

Alors que 30.Tç7 permettait de conserver un avantage décisif, il joua 30.Rd4 qui aurait permis à son adversaire d’arracher un demi-point par 30…Ted2+

Vous conviendrez donc que ces évaluations en centième de pion sont totalement ridicules au vu de notre niveau de jeu.
Peut-être sont-elles utiles aux maîtres, grand maîtres ou à Antoine lorsqu’ils analysent leurs chefs d’œuvre, mais une telle précision est superflue pour nous autres mortels.

Demande-t-on à nos couvercles que leur diamètre soit mesuré au micron près pour mériter de couvrir nos casseroles ?
Un millimètre cube de bourgogne aligoté de plus ou de moins fait-il une différence notable dans la valeur gustative de notre kir ?
Et que notre grasse matinée ait duré une seconde de plus ou de moins revêt-il la moindre importance ?
Non. Assurément non (sauf éventuellement pour la grasse matinée).

Amis pousseurs de bois du dimanche ou du vendredi soir, ne devenez pas un centipionnolâtre ni même centipionnophile. Les sept symboles de l’informateur nous suffisent amplement.

Pour ce qui concerne la fin de cette rencontre, les résultats furent les suivants :
Au troisième échiquier Christian s’est incliné lorsque l’attaque de son adversaire a percé ses défenses.
Puis, au premier, notre capitaine Olivier a réussi à pêcher en eaux troubles et surmonter sa gaffe de l’ouverture pour obtenir le partage du point.
Même résultat ensuite au quatrième échiquier, où l’adversaire de Théo a su profiter des grandes complications pour sauver une position compromise.
Et j’ai finalement remporté le point du match nul en dominant la finale mentionnée plus haut.

Nous avons donc encore quelques chances de conserver notre titre de meilleure équipe du Val-d’Oise du vendredi soir.

3 commentaires.

  1. Une chronique bien sentie, merci !

  2. Et d’une précision millimétrique :)

  3. Je fais un centi-commentaire : bravo !

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